Présidentielles: les deux France

Publié le par Vindos Cingetos

Aux yeux des commentateurs médiatiques, les résultats  du premier tour de l’élection présidentielle du 22 avril 2007 sont excellents. Les Français ont beaucoup voté (à 83,77%) ; et ils se sont mobilisés pour les « partis de gouvernement » qui recueillent les trois quarts des suffrages (75,62%) ; quant aux « extrêmes » ils sont marginalisés. Or ce qui frappe à l’analyse des résultats c’est, en dépit des nombreux chassés-croisés programmatiques de Nicolas Sarkozy et de Ségolène Royal, la profondeur des clivages entre leurs électorats. Droite contre gauche, différenciation des motivations de leurs électeurs, nature de leurs soutiens, ethnicisation des votes : tout oppose les deux finalistes.

Explication :

 

1/ Droite puissante, gauche affaiblie

Indépendamment de la percée de François Bayrou, le résultat le plus frappant de l’élection c’est moins le retour de la bipolarisation que l’ampleur de l’écart entre la gauche et la droite : à droite, Sarkozy + Le Pen + Villiers réunissent un total de 16,11 millions de voix (43,85%), voire 45% si l’on réincorpore les voix de Frédéric Nihous, candidat de la ruralité et de Chasse-pêche-nature-et-tradition ; en face, la gauche dans son ensemble, Royal + Besancenot + Buffet + Voynet + Laguiller + Bové + Schivardi, rassemble 13,4 millions des voix (36,44%).

Trois remarques s’imposent :

– le score historiquement bas de la gauche : 36,4 % plus faible qu’en 2002, pourtant année d’étiage électoral, où il s’élevait à 42,89 % ;
– l’ampleur de l’écart entre la droite et la gauche : 2,7 millions de voix ;
– à cela il faut ajouter l’importance du centre, habituellement classé à droite, qui a rassemblé sur la candidature de François Bayrou 6,8 millions de voix ; sans doute celles-ci viennent-elles en partie de la gauche, mais en petite partie seulement, car la géographie du vote Bayrou recoupe la géographie de la droite modérée (Barre, Balladur) et de la démocratie chrétienne (MRP, CDS, Lecanuet) : Alsace, Savoie, Grand Ouest restent les points forts. Et, comparée au score précédent de François Bayrou en 2002, la progression du centre, assez bien étalée sur l’ensemble du territoire, ne se fait manifestement pas dans les zones de force de la gauche, à part la Bretagne, terre habituellement partagée.

 

2/ Deux électorats à motivations très tranchées

Malgré leurs inévitables imperfections tenant aux convenances du politiquement correct tant dans les questions posées que dans la sincérité des réponses des électeurs, les sondages réalisés le jour du vote sont puissamment éclairants. 
Le sondage TNS/SOFRES du 22 avril 2007 pose ainsi la question : « Parmi les thèmes suivants, quels sont ceux qui ont eu le plus d’importance pour vous au premier tour de l’élection présidentielle ? » Les réponses, même biaisées par la pression de l’idéologie dominante, révèlent des différences profondes :

  1. ainsi « la lutte contre l’immigration clandestine » motive 60% des électeurs de Le Pen et 30% des électeurs de Sarkozy ; mais seulement 4% des électeurs de Royal et 8% des électeurs de l’extrême gauche antilibérale ;
  2. « la lutte contre l’insécurité » (pas toujours indépendante des questions d’immigration) motive 53% des électeurs de Le Pen et 43% de ceux de Sarkozy ; mais seulement 8% des électeurs de Royal et 11% des électeurs de l’extrême gauche ;
  3. a contrario, « la lutte entre les inégalités et les injustices » ne détermine que 17% des électeurs de Le Pen et 19% de ceux de Sarkozy ; mais 42% des électeurs de Royal et 53% de ceux de l’extrême gauche ;
  4. quant à « l’intégration des minorités dans la société française », thème récurrent des discours de campagne, elle motive 4% des électeurs de Le Pen et 5% de ceux de Sarkozy, alors que 12% des électeurs de Royal et 10% des électeurs d’extrême gauche s’y intéressent ; pourcentages certes modestes mais deux fois supérieurs à ceux observés à droite ;
  5. s’agissant de l’influence des différents événements, « ce sont les affrontements entre les jeunes et la police à la gare du Nord » qui arrivent très largement en tête chez les électeurs de Le Pen (63%) comme de Sarkozy (43%), alors que seulement 19% des électeurs de Royal comme de l’extrême gauche les ont retenus ;
  6. on trouve aussi 17 à 18% d’électeurs de Sarkozy et Le Pen pour prendre en compte « les attentats au Maroc et en Algérie », soit le double des chiffres observés à gauche ; dans le même ordre de sensibilité aux événements 12% à 14% des électeurs de droite se déclarent préoccupés par « les exigences des talibans pour la libération des otages français », soit là aussi plus du double des inquiétudes exprimées à gauche ;
  7. enfin, même si on peut juger biaisée la question suivante présentée dans le sondage sous forme d’alternative binaire (*) : « Souhaitez-vous une société avec plus de libertés individuelles ou une société avec plus d’ordre et d’autorité ? », le clivage droite/gauche est là aussi manifeste : 80% pour l’ordre chez Le Pen, 83% chez Sarkozy, 27% chez Royal, 30% à l’extrême gauche.

 

C’est donc bien une opposition frontale et globale qui sépare les 44% d’électeurs de la droite des 36% d’électeurs de la gauche… les centristes étant partagés, ce qui révèle le caractère composite de l’électorat de François Bayrou.

 

3/ Communautarisation de la campagne, ethnicisation du vote

Jamais sans doute les minorités ethniques ou religieuses n’ont été autant « chouchoutées » par les candidats qu’au cours de cette campagne. Nicolas Sarkozy a pris position pour la discrimination positive et le financement des mosquées et a désigné comme sa porte-parole Rachida Dati, jeune conseillère d’origine maghrébine, captant remarquablement bien la lumière. Ségolène Royal et François Bayrou ont multiplié les déplacements en banlieue et les promesses, allant de la part de la candidate socialiste jusqu’à une large régularisation des clandestins. Jean-Marie Le Pen est allé lui aussi très loin, sur le conseil de sa fille Marine, en déclarant à un parterre de musulmanes voilées et de jeunes oisifs sur la dalle d’Argenteuil : « Vous êtes tous des Français à part entière (…). Si certains veulent vous karchériser pour vous exclure, nous voulons, nous, vous aider à sortir de ces ghettos de banlieue où les politiciens français vous ont parqués pour vous traiter de racaille par la suite. » Propos qui a peut-être acquis à Le Pen quelques milliers d’électeurs d’origine immigrée… tout en lui faisant perdre par ailleurs quelques centaines de milliers d’électeurs (tout court) au profit de Nicolas Sarkozy.

Car c’est le non-dit des commentateurs : les minorités ethniques et religieuses issues de l’immigration ont été courtisées par tous, mais leur vote a été très, très inégalement réparti. Sur ce sujet, politiquement correct oblige, on ne dispose bien sûr pas d’étude d’opinions. Ainsi le sondage TNS/SOFRES qui détaille les votes et les opinions par âge, sexe et catégorie socioprofessionnelle ne le fait ni par origine ethnique, ni par appartenance religieuse. Cela peut s’expliquer pour l’ethnie, sujet traditionnellement tabou en France à la différence du monde anglo-saxon ; cela se comprend moins s’agissant de l’appartenance religieuse, qui a toujours fait partie de catégories sociologiques étudiées. Il faut évidemment voir là une forme d’autocensure des censeurs et de leurs commanditaires.

 

L’exception séquano-dionysienne

Néanmoins une analyse fine des résultats électoraux montre à quel point il y a eu ethnicisation du vote en faveur de la gauche et de l’extrême gauche.

Observons d’abord que Ségolène Royal ne fait pas ses meilleurs scores dans les bastions historiques du PS que sont Midi-Pyrénées ou le Limousin, ni même dans son département d’élection, les Deux-Sèvres (33,85%), mais sur l’outre-mer (41,48%) et la Seine-Saint-Denis (34,13%). Ce sont justement les deux lieux où Christine Taubira, candidate ethnique revendiquée comme telle en 2002, avait réalisé ses meilleurs scores en 2002.

Il est aussi significatif que la Seine-Saint-Denis soit, avec l’outre-mer, où la gauche progresse, l’un des rares départements où la gauche se maintient, malgré son recul général elle y retrouve ses marques, passant de 45,97% (extrême gauche antilibérale comprise) en 2002 à 45,84% en 2007. A contrario, là où Le Pen, Mégret, Chirac, Madelin et Boutin avaient recueilli 40,47% des suffrages, il n’en reste plus que 37,23% cinq ans plus tard, en décalage, là aussi, avec l’évolution générale.

Il est difficile de ne pas voir dans cette évolution électorale à contre-courant la conséquence de la modification de la composition de l’électorat sous le poids notamment des nouveaux inscrits ; phénomène qui fut d’ailleurs observé lors des élections municipales belges de l’automne 2006.

 

Les deux rives de la Seine-Saint-Denis

Une étude par bureau de vote permettrait de conforter cette analyse. Car la Seine-Saint-Denis n’est pas un bloc. Elle a deux rives : deux rives qui ne sont pas  séparées par un fleuve mais par des rues, les rues qui séparent les quartiers pavillonnaires des cités. « Le Monde » du 24 avril y a consacré un article sous le titre : « Pavillons contre HLM, le clivage des banlieues. A Villepinte, deux bureaux de vote situés l’un dans la zone pavillonnaire, l’autre dans un quartier sensible, ont voté aux antipodes l’un de l’autre » : dans le premier, Sarkozy atteint 36% et dépasse les 50% en score cumulé avec Le Pen ; dans le second il plafonne à 20% avec un Le Pen faible. Bien sûr, le clivage n’est pas seulement ethnique, il est aussi social : il reste encore des Français d’origine européenne dans les cités, beaucoup étant en situation d‘assistance (les autres étant partis) ; et il y a des Français d’origine extra-européenne dans les quartiers pavillonnaires, souvent mieux intégrés, d’ailleurs, au moins économiquement, que ceux qui continuent de vivre dans les cités. Il n’en reste pas moins, dans le vote, un clivage ethnique de grande ampleur. Polémia s’efforcera de mieux éclairer ce phénomène par une étude approfondie des résultats bureau de vote par bureau de vote dans les villes les plus sensibles.

Sans attendre, les communicants du PS ont d’ailleurs décidé de jouer la carte du vote ethnique pour le deuxième tour. C’est pour cela que le soir du 22 avril, ils ont choisi de mettre en scène pour les télévisions deux images des électeurs de Ségolène Royal : d’un côté, la France sage et provinciale de ses partisans réunis à Melle (Deux-Sèvres) ; de l’autre, celle de musulmanes voilées venues manifester bruyamment leur soutien à la candidate socialiste devant le siège du parti, rue de Solférino. Et la petite main jaune de SOS-Racisme est à nouveau apposée sur les murs des banlieues par les amis de Ségolène Royal avec le slogan suivant : « Pour la République métisse ».

 

4/ France diabolisée, France diabolisante

Cela n’est pas surprenant.

Aux manettes de la campagne de Ségolène Royal on trouve : Jean-Louis Bianco, qui, comme secrétaire général de l’Elysée dans les années 1980, inspira la création de SOS-Racisme pour diaboliser « la droite et l’extrême droite » ; Julien Dray, ancien de la LCR, qui fut le talentueux organisateur de la montée en puissance de l’idéologie « antiraciste » ; ainsi que, passé par l’entourage de Dominique Strauss-Kahn, Jean-Christophe Cambadélis, ancien trotskyste lui aussi et fondateur du « Manifeste contre le Front national », organisation activiste de diabolisation. Comme l’a révélé le transfuge socialiste Eric Besson lors du meeting de Nicolas Sarkozy à Dijon le 23 avril, ces hommes ont conçu la campagne de deuxième tour comme une campagne de diabolisation du candidat de droite ; diabolisation susceptible de décourager certains électeurs frileux et de permettre une sur-mobilisation du vote ethnique.

Il n’est pas certain que cette fois la manœuvre réussisse.

D’abord, Nicolas Sarkozy a dénoncé par avance cette « entreprise de diabolisation » et en a déjà pris le contrepied.

Ensuite, il dispose de puissants soutiens. Il a su capter (au détriment de Jean-Marie Le Pen qui lui a d’ailleurs grandement facilité la tâche par sa campagne ambiguë) un électorat national et identitaire tout en gardant le vote des puissants : 72,64% des suffrages à Neuilly, 64,02% à Paris XVIe, 58,49% à Paris VIIIe, 55,98% à Paris VIIe. Et François Bayrou n’a pas eu tort de constater dans sa déclaration du 25 avril que son ancien concurrent de l’UMP avait « une proximité avec les milieux d’affaires et médiatiques ». Proximité qui peut évidemment le protéger d’attaques excessives et lui permettre de conserver le bon dosage : un peu de diabolisation pour attirer ceux qui en ont assez du « droitdelhommisme », pas trop pour éviter la sur-mobilisation des « banlieues » et l’affolement des « consciences ».

Il est d’ailleurs significatif que l’orchestre de la diabolisation soit incomplet : on y trouve, bien sûr, toutes les organisations et associations de la mouvance trotskyste – dont les candidats ont apporté leur soutien à Ségolène Royal dès le début de la soirée du 22 avril ; mais n’y figurent pas les « autorités morales », qu’il s’agisse des grandes organisations religieuses ou des institutions communautaires. Bref, la machine à diaboliser ne peut pas vraiment être en ordre de marche.

 

5/  Candidats bivalents, électorats clivés

A y regarder de près, chaque candidat est plus complexe que son électorat :

Mère sévère, femme d’ordre et d’autorité, Ségolène Royal, pour parachever sa conquête d’un électorat bobo, termine sa campagne cornaquée par Daniel Cohn-Bendit, vieux rescapé de Mai 68 qui est allé jusqu’à défendre la pédophilie. Drapée de blanc, la Jeanne d’Arc du Marais poitevin, la provinciale présidente de la région Poitou-Charentes cherche dorénavant dans les banlieues immigrées les réserves électorales qui lui manquent. Et la Blairiste de l’automne 2006, promotrice de la valeur travail, espère désormais triompher de son adversaire en faisant le plein des voix des syndicalistes trotskystes et des bénéficiaires de l’assistance.

Présenté comme un adepte d’une politique à l’anglo-saxonne, « Sarko l’Américain », ce « néo-conservateur à passeport français » selon un libelle du PS, a trouvé les accents de Péguy pour capter l’électorat national et identitaire et a conclu sa déclaration officielle du 22 avril pour le deuxième tour par une formule inédite : « Vive la République et surtout Vive la France ! » Communautariste, créateur du Conseil français du culte musulman (CFCM), l’ancien ministre de l’intérieur se voit opposer le vote ethnique par ses adversaires mais garde la ligne stratégique droitière de sa campagne.

Au moment de voter les électeurs se poseront les questions suivantes : Pour qui voter, bien sûr, mais aussi Avec qui voter ? A laquelle des deux France associer ou ne pas associer son vote ?

© Polémia
27/04/07

 

(*) Il nous semble en effet que depuis trente ans il y a en France à la fois moins d’ordre et moins de libertés. Polémia aura l’occasion d’y revenir.

 

Source: Polémia

Publié dans Actualités

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